Le foncier occupe une place centrale dans la vie des nations et des peuples, constituant un pilier essentiel de la souveraineté des États. Il joue un rôle fondamental dans le processus de développement, en fournissant la base sur laquelle reposent les politiques publiques dans divers domaines — économiques, sociaux, culturels et environnementaux. Ainsi, la gestion et l’utilisation du foncier influencent directement les choix stratégiques des États, qui adoptent des régulations pour préserver leur souveraineté tout en répondant aux impératifs de développement.
À cette fin, de nombreux États ont promulgué des textes juridiques visant à encadrer l’acquisition de la propriété foncière, en limitant et contrôlant leur transfert, notamment lorsque ces biens sont susceptibles d’être acquis par des étrangers. L’objectif de ces mesures est de protéger les intérêts nationaux tout en s’adaptant aux conjonctures économiques et sociales spécifiques de chaque pays.
Parmi les restrictions imposées à la propriété foncière au Maroc, figurent des limitations concernant le droit des étrangers d’acquérir du foncier local, notamment du foncier, agricole ou à vocation agricole, situé en dehors des périmètres urbains. Ces restrictions s’inscrivent dans une logique de préservation des ressources agricoles nationales, considérées comme stratégiques pour la sécurité alimentaire. Cependant, il y a nécessité de promouvoir les investissements étrangers, reconnus comme un levier important de développement économique. Il s’agit donc de trouver un équilibre entre la protection des intérêts nationaux et l’ouverture aux capitaux étrangers, lesquels peuvent contribuer au développement et à la modernisation du secteur agricole.
- Cadrage juridique : de la réglementation historique aux réformes post-indépendance
Les premières bases de la réglementation relative au droit de propriété foncière des étrangers au Maroc ont été posées avec la Convention de Madrid de 1880. Ce texte reconnaît aux étrangers le droit de propriété, sous réserve de l’obtention d’un accord préalable de l’État marocain. l’article 11 de la convention de Madrid stipule que « Le droit de propriété au Maroc est reconnu pour tous les étrangers. L’achat de propriété devra être effectué avec le consentement préalable du gouvernement, et les titres de ces propriétés seront soumis aux formes prescrites par les lois du pays».
Quelques années plus tard, cette disposition fut renforcée par l’article 60 de la Convention d’Algésiras de 1906, qui interdit l’acquisition de la propriété foncière par des étrangers, sauf en présence de motifs valables. En effet, l’article n° 60 de la convention d’Algésiras précise : «Conformément au droit qui leur a été reconnu par l’article 11 de la Convention de Madrid, les étrangers pourront acquérir des propriétés dans toute l’étendue de l’Empire Chérifien et Sa Majesté le Sultan donnera aux autorités administratives et judiciaires les instructions nécessaires pour que l’autorisation de passer les actes ne soit pas refusée sans motif légitime. Quant aux transmissions ultérieures par, actes entre vifs ou après décès, elles continueront à s’exercer sans aucune entrave». Ce cadre juridique a ainsi jeté les bases d’un contrôle étatique rigoureux sur la propriété foncière détenue par des étrangers, visant à encadrer et limiter leur accès aux terres marocaines dans le respect de la souveraineté nationale.
L’obligation pour les étrangers d’obtenir une autorisation préalable pour l’acquisition de foncier local a connu un revirement pendant la période du protectorat, notamment, concernant les terrains collectifs. L’administration française a élargi le processus de melkisation — transformant le droit de jouissance des terres collectives en un droit de propriété privé — des terrains agricoles, au bénéfice de ses ressortissants. Cette situation a perduré pendant toute la période de protectorat, mais après l’indépendance du Maroc en 1956, les autorités marocaines ont entrepris une série de réformes législatives visant à rétablir le contrôle national sur les terres agricoles, jusque-là largement accaparées. Parmi les premières mesures législatives, il y a eu publication de deux dahirs en particulier (1) Le Dahir de 26 Septembre 1963, relatif au contrôle des opérations Immobilières à réaliser par certaines personnes et portant sur des propriétés agricoles rurales. Ce dahir a interdit l’acquisition des terrains agricoles situés à l’extérieur des périmètres urbains sauf en cas d’obtention d’une autorisation administrative et (2) Le dahir de 26 septembre 1963 (le même jour que le premier dahir) fixant les conditions de la reprise par l’Etat des lots de colonisation ;
Dans ce cadre, ces deux dahirs ont énuméré les opérations immobilières impliquant des personnes physiques ou morales non marocaines et nécessitant une autorisation administrative :
(i) Ventes par adjudication et baux de longue durée (plus de 3 ans) : il s’agit des opérations de vente par voie d’adjudication ainsi que la passation de tous baux de plus de 3 ans portant sur des propriétés agricoles ou à vocation agricole situées à l’extérieur des périmètres urbains (cf. article 1 du Dahir de 1963 relatif au contrôle des opérations Immobilières à réaliser par certaines personnes et portant sur des propriétés agricoles rurales tel que ce dahir a été modifié indirectement par la loi 62-19 précitée).
(ii) Cessions de parts sociales et actions : il s’agit des opérations de cessions de parts sociales et d’actions des sociétés propriétaires d’immeubles agricoles ou à vocation agricoles d’origine domaniale situées à l’extérieur des périmètres urbains (Dahir de 1963 fixant les conditions de reprise par l’Etat des lots de colonisation).
s’ajoute à cela d’autres (iii) opérations élargies selon la Circulaire n°15/36 : il s’agit des opérations immobilières concernent la vente normale et la vente aux enchères, l’échange, le partage, la donation, l’apport à la société d’un bien immeuble ainsi que le bail d’une durée dépassant les 3 années. Toutefois, ces opérations ne concernent pas les droits issus de l’héritage, le testament, les saisies (cf. circulaire n°15/36 ).
La succession des législations adoptées au Maroc, à commencer par le dahir de 1963 relatif au contrôle des opérations immobilières à réaliser par certaines personnes et portant sur des propriétés agricoles rurales, et par le dahir de 1963 fixant les conditions de la reprise par l’Etat des lots de colonisation et aussi par le dahir de 1973 relatif au transfert à l’Etat de la propriété des immeubles agricoles appartenant aux personnes physiques étrangères et aux personnes morales, marque une évolution progressive visant à restreindre la propriété foncière étrangère sur les terres agricoles situées en dehors des périmètres urbains.
Cette orientation législative a perduré jusqu’à l’adoption du Dahir du 23 avril 1975, relatif à l’acquisition des propriétés agricoles ou à vocation agricole à l’extérieur des périmètres urbains, qui a marqué un tournant en interdisant explicitement aux personnes étrangères toute propriété de terrains agricoles ou à vocation agricole situés, en tout ou partie, en dehors des périmètres urbains. En effet, l’article premier de ce dahir stipule : « l’acquisition des propriétés agricoles ou à vocation agricole situés, en totalité ou en partie, à l’extérieur des périmètres urbains est réservée aux personnes physiques et morales marocaines (à l’exception des Sociétés par actions, les personnes morales de droit privé dont les associés ou les membres sont des personnes physiques marocaines…)». Cet article à été modifié par la loi 62-19 pour élargir l’appropriation des terrains agricoles en dehors du périmètres urbains par l’ensemble des personnes physiques ou morales marocaines, y compris le sociétés anonymes, les sociétés en commandites par actions et toutes les personnes morales du droit privé dont les associés ou les membres sont des personnes physiques marocaines.
À la suite de la promulgation du Dahir du 23 avril 1975, l’acquisition de terrains agricoles situés en dehors des périmètres urbains est désormais interdite aux étrangers, ce qui tranche avec les dispositions précédentes du Dahir de 1963. Ce dernier, relatif au contrôle des opérations immobilières sur des propriétés agricoles rurales, autorisait en effet de telles acquisitions par des personnes étrangères, sous certaines conditions. Afin de concilier cette divergence législative, une circulaire ministérielle conjointe a précisé que l’entrée en vigueur du Dahir de 1975 limite l’application de l’article 1 de la loi de 1963, en excluant les opérations de vente et d’achat des biens immobiliers agricoles et en maintenant uniquement les dispositions relatives aux baux de longue durée, c’est-à-dire ceux excédant (3) trois ans sous réserve de présenter l’autorisation administrative citée au niveau de la loi de 1963.
Face à la limitation posée par la législation marocaine quant à l’acquisition de terrains agricoles hors périmètre urbain par des étrangers, une question se pose concernant le transfert de propriété par voie d’héritage d’un Marocain à un héritier étranger. En réponse à cette problématique, le Conservateur général a précisé, dans une circulaire du 8 octobre 2002, que le transfert de propriété d’un terrain agricole ou à vocation agricole situé hors périmètre urbain peut être inscrit au registre foncier sans nécessiter l’autorisation administrative requise par le Dahir de 1963. Néanmoins, les héritiers étrangers n’ont pas la liberté de disposer de ces biens comme bon leur semble. Conformément aux dispositions de la loi de 1973, l’État dispose d’un droit de reprise sur ces terrains, permettant la récupération des terres agricoles par les autorités. Cependant, l’État peut décider de laisser la propriété à l’héritier étranger ou de lui attribuer un terrain de substitution situé dans le périmètre urbain
Les mesures de limitation de la propriété des terrains agricoles ou à vocation agricole au profit des personnes étrangères ont considérablement renforcé la souveraineté de l’État marocain sur ces ressources foncières essentielles. Toutefois, il demeure nécessaire de permettre aux investisseurs étrangers d’accéder à ces terrains, car leurs investissements pourraient contribuer significativement au développement économique et social des zones rurales concernées.
- Dès lors, comment le législateur a-t-il concilié la préservation de la souveraineté nationale avec l’encouragement des investissements étrangers pour promouvoir le développement économique et social ? (VNA)
Malgré l’affirmation de la souveraineté marocaine par l’interdiction faite aux étrangers d’acquérir des terrains agricoles hors périmètre urbain, l’évolution des besoins économiques a conduit le législateur à introduire des dérogations à cette interdiction. Les investissements étrangers, moteurs de développement économique et social, nécessitent des parcelles de grande superficie à des conditions compétitives, lesquelles se trouvent souvent sur des terrains à vocation agricole en zones rurales, en dehors des espaces urbains.
A cette tire, la circulaire du 29 décembre 2004, a autorisé l’achat par des étrangers des terrains agricoles situés en dehors du périmètre urbain et sur lesquels seront édifiés des projets non agricoles à condition d’obtenir l’attestation provisoire de Vocation Non Agricole (VNA). L’attestation provisoire de VNA est nécessaire pour des projets d’investissement autres qu’agricoles, et ce conformément au Décret n° 2-04-683 du 16 kaada 1425 (29 décembre 2004) relatif à la commission régionale chargée de certaines opérations foncières. Cette procédure concerne l’acquisition de propriétés agricoles ou à vocation agricole situées, en totalité ou en partie, à l’extérieur du périmètre urbain, par des personnes physiques étrangères ou des sociétés dont le capital est détenu en totalité ou en partie par des personnes étrangères, destinées à la réalisation de projets d’investissements autres qu’agricoles comme précité.
L’attestation de vocation non agricole (VNA) a été instituée par la circulaire n° 63-15 émise par le Ministre de l’Agriculture, dans le but de clarifier certaines dispositions du dahir de 1963 relatif au contrôle des opérations immobilières effectuées par certaines catégories de personnes sur des propriétés agricoles rurales. En effet, cette circulaire a spécifiquement précisé que, dans certains cas, des doutes peuvent subsister quant au caractère non agricole de certaines propriétés, ce qui peut dispenser de l’obligation d’obtenir une autorisation administrative imposée par la loi de 1963.
Pour répondre à cette incertitude, la circulaire stipule que l’intéressé doit obtenir une attestation délivrée par le Ministre de l’Agriculture, laquelle précise la nature de l’immeuble concerné. Cependant, les modalités de délivrance de cette attestation n’ont été véritablement appliquées qu’à partir du 6 juillet 1972, date à laquelle le Premier Ministre a publié une nouvelle circulaire visant à encourager l’investissement, notamment par la mise à disposition de foncier nécessaire, y compris des terrains agricoles situés hors du périmètre urbain. Cette circulaire de 1972 précise ainsi les catégories de terrains éligibles à l’attestation de VNA, ainsi que les formalités à suivre pour son obtention, dans le cadre de la promotion de l’investissement foncier. dans cette circulaire précise que pour l’acquisition d’un terrain situé en dehors du périmètre urbain par une personne étrangère, et dans l’optique de réaliser un projet d’investissement à vocation touristique, commerciale ou industrielle, l’obtention de l’attestation de vocation non agricole (VNA) est requise. En application des circulaires susmentionnées, il est précisé que l’attestation de VNA concerne les terrains ayant perdu leur vocation agricole. Cela inclut, notamment, les terrains comportant des constructions, ceux inexploitables pour des fins agricoles, ou encore les terrains affectés à des activités autres qu’agricoles, telles que l’exploitation minière, les carrières, ou des usages similaires. Sont également concernés les terrains situés dans des zones couvertes par un document d’urbanisme.
Concernant les modalités de délivrance de la VNA, il convient de rappeler que la circulaire de 1972 confère au Ministre de l’Intérieur la compétence pour délivrer cette attestation. La circulaire précise également que l’attestation de VNA peut être délivrée de manière partielle, c’est-à-dire qu’elle peut ne concerner qu’une partie du terrain en question. Le décret du 29 décembre 2004 a ensuite été publié en réponse à la Lettre Royale du 24 Chaoual 1422 (9 janvier 2002) adressée au Premier ministre. Cette lettre, portant sur la gestion déconcentrée de l’investissement, rappelait notamment la nécessité d’obtenir une attestation de vocation non agricole pour certains terrains lorsque les transactions immobilières impliquent des personnes physiques étrangères, des sociétés par actions ou des sociétés dont le capital est détenu, en totalité ou en partie, par des ressortissants étrangers. Ce décret est également venu compléter la circulaire de 1972. Le décret de 2004 précise, dans son article 8, que l’acquisition de propriétés agricoles ou à vocation agricole, situées en tout ou partie à l’extérieur du périmètre urbain, par des personnes physiques étrangères, des sociétés par actions ou des sociétés dont le capital est détenu, en totalité ou en partie, par des personnes étrangères, en vue de la réalisation de projets d’investissement à caractère non agricole, est subordonnée à l’obtention préalable d’une attestation de vocation non agricole.
En conclusion, la position de l’État marocain concernant l’acquisition de terres agricoles par des étrangers est sans équivoque : ces acquisitions sont strictement interdites pour les terrains situés à l’extérieur des périmètres urbains. Quid alors des terrains situés à l’intérieur des périmètres urbains ?
- A l’intérieur du périmètre urbain, le principe de réciprocité s’impose
À l’intérieur des périmètres urbains, l’acquisition de terrains par des étrangers, qu’ils soient des personnes physiques ou morales, n’est soumise à aucune, en tout état de cause, condition particulière en droit marocain. Ce régime favorable aux étrangers s’inscrit dans un cadre juridique plus large, influencé par le droit international et, en particulier, par le principe de réciprocité. Ce principe signifie que les États accordent aux ressortissants étrangers des droits équivalents à ceux accordés à leurs propres citoyens par l’État d’origine. Il repose sur l’idée de traitement égalitaire et mutuel entre États, garantissant aux ressortissants de chaque pays un accès équitable aux opportunités foncières sur leurs territoires respectifs. Le principe de réciprocité dans l’acquisition foncière permet aux ressortissants d’un État A d’acheter des terrains dans l’État B, sous réserve que les ressortissants de l’État B disposent des mêmes droits en État A. Ce principe est appliqué différemment selon les législations nationales. En Irak, par exemple, les étrangers peuvent acheter des propriétés, mais sous conditions : l’acquéreur étranger doit résider en Irak pendant au moins sept ans, ne peut acquérir des terres agricoles, et les terrains achetés doivent être situés à une distance minimale de 30 km des frontières. Cependant, certaines exceptions s’appliquent aux ressortissants de pays arabes spécifiques, qui jouissent de droits d’acquisition similaires à ceux des Irakiens, sans appliquer les restrictions de réciprocité. D’autres États comme l’Égypte, la Syrie, et l’Arabie Saoudite reconnaissent le droit d’acquisition réciproque mais subordonnent celui-ci à une autorisation préalable des autorités compétentes. Cette condition permet de filtrer les acquisitions étrangères et de veiller à ce qu’elles respectent les objectifs de sécurité et de souveraineté nationale de chaque pays. Ainsi, le principe de réciprocité, bien que largement appliqué, est modulé par les États en fonction de leurs intérêts nationaux et de leur politique d’ouverture aux investissements étrangers.
Cette réciprocité n’est pas appliquée par le Maroc, l’acquisition du foncier par les étrangers, à l’intérieur du périmètre urbain, est soumise uniquement aux dispositions du droit commun (Code des Obligations et des Contrats), aux prescriptions du Code des droits réels et des autres règles régissant les transactions de la propriété immobilière et foncières. Ainsi, les étrangers bénéficient des mêmes droits d’achat que les marocains pour les terrains situés à l’intérieur des périmètres urbains, sans restrictions particulières. Cette absence de régulation spécifique a permis à des investisseurs étrangers, bénéficiant souvent d’un pouvoir d’achat plus élevé, d’acquérir un nombre substantiel de biens immobiliers dans les zones urbaines prisées, telles que Casablanca, Marrakech, Rabat, Essaouira et Fès.
Au final, Il convient de souligner les efforts considérables entrepris par l’État pour encadrer la propriété foncière des étrangers sur les terrains agricoles situés en dehors du périmètre urbain, au travers de l’ensemble des législations et réglementations en vigueur. Néanmoins, malgré la pertinence et l’efficacité de ce cadre législatif, plusieurs aspects méritent d’être abordés afin d’optimiser la gestion de ces acquisitions foncières, notamment, une (i) Codification unifiée : Il est recommandé de regrouper tous les textes de lois, règlements et jurisprudences pertinents en un texte unique. Une telle consolidation législative faciliterait la compréhension et l’application de ces normes par les parties concernées et par les autorités compétentes et un (ii) Contrôle des transactions à l’intérieur du périmètre urbain : Il est également essentiel de surveiller les opérations immobilières effectuées par des personnes étrangères au sein des périmètres urbains. Ce contrôle viserait à limiter la spéculation immobilière et à protéger le patrimoine culturel, notamment pour les biens de grande valeur historique tels que les riads et autres patrimoines.
DH